La neutralité fiscale des distributions de dividendes
Chapitre 2 : La neutralité, un principe actuel
Afin de restaurer une certaine neutralité fiscale en ce qui concerne la distribution de dividendes, le droit interne (section 1) et le droit externe (section 2) tendent à jouer un rôle majeur.
Section 1 : le droit interne, restaurateur de la neutralité
En droit interne, le législateur (I) ainsi que le juge (II) jouent un rôle majeur en matière de neutralité fiscale.
I°/ Le législateur, instaurateur de la neutralité
Le législateur tente d’instaurer une certaine neutralité fiscale en mettant en place le prélèvement forfaitaire unique (A), en supprimant l’impôt sur la fortune (B), ainsi qu’en créant certains régimes de faveur (C).
A°/ La mise en place du PFU
Lors de la campagne présidentielle pour 2017, Emmanuel Macron, actuel président de la République française, avait proposé de créer un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus de l’épargne de l’ordre de 30 % afin de soutenir l’investissement[160]. L’actuel Président ayant constaté que la fiscalité de l’épargne était trop complexe.
En effet, si la fiscalité variait selon le revenu considéré (dividendes, intérêts, plus-values, etc.), se superposait également un nombre non-négligeable de taxes à l’image de la CSG, de l’ISF, etc.
Ainsi, Emmanuel Macron se proposait de « rendre le système plus juste et transparent » en créant un prélèvement forfaitaire unique de l’ordre de 30 %, qui a vocation à remplacer les prélèvements existants.
Si le taux de 30 % a été avancé, celui-ci n’a pas été choisi au hasard. En effet, Emmanuel Macron a expliqué que le PFU visait à « maintenir le niveau des recettes antérieurement perçues sur les revenus de l’épargne, mais aussi de financer la hausse de la CSG sur les revenus du capital, contrepartie de la baisse des cotisations salariales, et le remplacement de l’impôt sur la fortune (ci-après ISF) par l’IFI. Le but n’est donc pas de baisser globalement la fiscalité des revenus du capital, mais de la rendre plus lisible et plus efficace ».
Cette promesse de campagne a été reprise par l’article 28 de la loi de finances pour 2018[161]. Cette dernière instaure le PFU ou également « flat tax », dont le taux global d’impôts sur les revenus du capital est de 30 %. Cette disposition est désormais codifiée à l’article 200 A du CGI. Ce taux se décompose comme suit : 12,8 % d’impôts sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux (le taux de la CSG étant relevé de 1,7 point par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale).
La mise en place du PFU a pour vocation d’améliorer la lisibilité du système d’imposition des revenus mobiliers. En effet, ces derniers faisaient jusqu’alors l’objet d’une lourde et importante taxation en raison de la « barémisation » des revenus du capital entre les années 2012 et 2018.
Cette soumission au barème progressif avait d’un côté augmenté la pression fiscale qui pesait sur les valeurs mobilières mais également complexifié les règles juridiques applicables à ces mêmes revenus.
Afin d’illustrer la façon dont les dividendes étaient taxés en 2017, avant la mise en place du PFU, nous pouvons vous proposer de vous référer à l’exemple ci-dessous.
Ainsi, comme nous pouvons le constater, lorsqu’un contribuable percevait 9.000 € de dividendes en 2017, celui-ci devait acquitter 3.421 € d’impôt.
Le mode de taxation des dividendes qui avait été mis en place présentait deux inconvénients majeurs. Tout d’abord, le système d’imposition était illisible pour les contribuables. Ensuite, la soumission des dividendes au barème ne permettait pas à l’état Français d’estimer correctement ses recettes fiscales. D’ailleurs cette dernière critique avait déjà été pointée, du doigt par le chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques (ci-après DGFiP) devant la Commission des finances du Sénat le 11 février 2015, par Monsieur Bruno Rousselet. Celui-ci avait alors déclaré que l’estimation des effets du basculement des revenus des capitaux mobiliers dans le barème « fut un exercice difficile, dont nous n’avons pas maîtrisé tous les paramètres ».
Si certains considèrent le PFU comme une véritable révolution fiscale, en réalité cette instauration ne constitue pas tant une réforme radicale et inédite qu’un retour à la situation qui prévalait avant l’imposition des revenus mobiliers au barème.
En effet, le PFU qui soumet les dividendes à une imposition globale de 30 % correspond au taux et aux modalités d’impositions qui s’appliquaient en 2008-2009. Lors de cette période, le système fiscal était fondé sur une option entre un prélèvement forfaitaire de 30,1 % et une imposition au barème.
Afin, d’avoir une vision globale, synthétique et de connaître les taux d’imposition des revenus mobiliers de 2004 à 2018, il est possible de se référer au graphique ci-dessous proposé par la Commission des finances du sénat.
Ce graphique nous permet de constater que le régime fiscal applicable en 2018 est proche de celui applicable en 2008-2009.
Toutefois, il existe une différence majeure entre les deux régimes. Cette différence réside dans la proportion que représentent les prélèvements sociaux dans le taux d’imposition global.
Si en 2010 les prélèvements sociaux étaient minoritaires, car ils ne représentaient que 12,1 % du taux global. À l’inverse, en 2018 les prélèvements sociaux représentent désormais la majeure partie de l’imposition globale, avec un taux de 17,2 %.
S’il est désormais devenu récurrent de parler de « flat tax », il est important de rappeler que si l’imposition forfaitaire des dividendes module la progressivité de l’impôt sur le revenu, elle ne conduit pas à supprimer cette dernière. En effet, la progressivité de l’impôt continue de s’appliquer à la plupart des revenus perçus par les ménages. C’est d’ailleurs ce qu’a tenu à rappeler Monsieur Olivier Fouquet, président honoraire de la section des finances du Conseil d’État, en déclarant que « la progressivité du barème fait partie des caractéristiques constitutionnelles de l’impôt sur le revenu ».
En effet, si de par l’instauration d’une « flat tax », le gouvernement aurait entendu soumettre à un taux proportionnel l’ensemble des revenus des personnes physiques, le Conseil constitutionnel aurait sûrement déclaré contraire à la Constitution une telle disposition.
Ainsi, le Gouvernement en renouant avec un système d’imposition différencié (également appelé « dual income tax ») fondé sur un traitement progressif des revenus du travail et forfaitaire des revenus du capital, ne serait pas poser de problème constitutionnel.
De par cette réforme fiscale, la France rejoint la plupart des pays européens qui traitent de manière différente les revenus issus du capital et les revenus issus du travail. Ceci est souligné par le Gouvernement, qui avait indiqué que « l’imposition proportionnelle des revenus du capital est actuellement le régime de droit commun d’imposition des intérêts et des dividendes dans 80 % des États membres de l’Union européenne ».
Le taux de 30 % choisis par la France est comparable à celui qui existe dans la plupart des pays ayant mis en œuvre un système d’imposition similaire comme le montre le graphique ci-dessous.
Ainsi, si la France opte pour un taux de 30 % à l’image de la Suède et de la Belgique, d’autres pays décident d’opter pour des taux plus faibles à l’image du Danemark avec un taux de 27 % et de l’Autriche avec un taux de 28 %.
Si le PFU permet à l’administration fiscale d’avoir une gestion simplifiée, le fait d’imposer les dividendes à un taux proportionnel présente d’autres avantages non-négligeables.
Tout d’abord, les dividendes versés par les entreprises ont déjà fait l’objet d’une taxation au titre de l’IS.
De plus, l’imposition des revenus du capital à un taux forfaitaire poursuit également un objectif de neutralité fiscale. Il s’agit en effet de favoriser des arbitrages entre différents actifs reposant principalement sur le couple rendement-risque plutôt que sur la fiscalité associée au produit financier choisi[163].
Toutefois, cet argument doit être nuancé, le contribuable devant faire attention à plusieurs égards[164]. Tout d’abord, le PFU s’applique par défaut, ainsi si un contribuable souhaite voir ses dividendes imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, il doit le déclarer à l’administration fiscale en cochant la case numéro 2042.
Ensuite, l’option pour le PFU est une option globale. Ainsi, en cas d’option du contribuable, « le barème sera applicable à l’ensemble des revenus perçus et, notamment, aux revenus de placements » comme le souligne Madame Marion Capèle, directeur adjoint de l’ingénierie patrimoniale chez Natixis Wealth Management
De telle sorte que, afin d’opter pour le PFU ou le barème progressif les contribuables doivent se prêter à des simulations, notamment grâce aux simulateurs mis en ligne par l’administration fiscale.
De manière assez simple, afin qu’un contribuable se décide à opter pour le PFU ou pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu, il doit regarder sa tranche marginale d’imposition.
Ainsi, d’après le tableau suivant, les contribuables dont la tranche d’imposition marginale est de 0 ou 14 % ont tout intérêt à soumettre leurs dividendes au barème progressif. À l’inverse, les contribuables dont le taux d’imposition marginal est de 30, 41 ou 45 % ont tout intérêt à opter pour le PFU.
Par ailleurs, il est important de noter que les tranches du barème progressif ont fait l’objet d’une revalorisation. Cela est visible lorsque l’on se reporte à l’article 197 du CGI reproduit ci-dessous.
Ainsi, de façon plus claire, ce sont uniquement les contribuables dont le taux d’imposition marginal ne dépasse pas 14 %, ce qui correspond à un revenu imposable maximum d'environ 54 000 € (pour un couple), qui ont intérêt à opter pour le barème[166].
Les contribuables doivent ainsi simuler la taxation des dividendes selon que le contribuable opte pour l’IR ou pour le PFU. Le tableau ci-dessous, permet de montrer la différence de taxation à laquelle est soumise un revenu selon le choix du contribuable.
En l’espèce, pour un dividende perçu de 9.000 €, si le contribuable opte pour le PFU, il sera redevable d’un impôt de 2.700 € tandis que s’il opte pour le barème progressif le montant de cette imposition s’élèverait à 3.511 €. Ainsi, dans le cas proposé, il serait plus intéressant pour le contribuable d’opter pour le PFU.
Si le législateur en instaurant le PFU tente de renouer avec le principe de neutralité fiscale, la réforme majeure est celle relative à l’IFI qui a entraîné la suppression d’une imposition qui pesait sur les dividendes.
B°/ La suppression de l’ISF
À compter du 1er janvier 1989 avait été institué l’impôt annuel de solidarité sur la fortune (ci-après ISF) [167]. Le Code général des impôts indiquait qu’étaient redevablesq de cet impôt les personnes physiques domiciliées en France et qui au 1er janvier de l’année d’imposition étaient propriétaire d’un patrimoine imposable d’une valeur nette supérieure à 1,3 millions d’euros[168].
De ce fait, puisque l’ISF a vocation à tenir compte de la valeur nette du patrimoine du contribuable, il a eu nécessairement un impact non-négligeable sur les distributions de dividendes. En effet, comme rappelé lors de l’introduction, le droit aux dividendes ne naît qu’au jour où l’assemblée générale prend la décision de distribuer les dividendes. Il convient de ce fait de distinguer deux situations.
Pour les dividendes dont la distribution n’a pas été décidée au 1er janvier, il résulte qu’au regard de l’ISF, ils ne seront pas pris en compte dans la détermination de la valeur nette du patrimoine du contribuable[169].
A contrario, dès lors que l’assemblée a voté la mise en distribution des dividendes au 1er janvier, il convient de prendre en compte le montant que l’on percevra alors même que le dividende n’a pas encore été individualisé dans un compte d’associé[170].
Lorsque les dividendes étaient soumis à l’ISF, les contribuables les plus fortunés (pour rappel ceux dont la valeur nette de leur patrimoine excèdait 1,3 millions d’euros) subissaient une imposition complémentaire qui venait s’ajouter aux contributions sociales, à l’impôt progressif sur le revenu des personnes physiques ainsi qu’à l’impôt sur les sociétés.
Face à ces multiples impositions, les contribuables grâce à l’aide de leurs conseils ont tenté de trouver des solutions afin d’y échapper et ainsi de parvenir, à une meilleure neutralité fiscale.
C’est ainsi, que les contribuables ont recouru à la technique dite de « l’encapsulage ». Par cette technique, les contribuables localisent (encapsulent) leurs dividendes au sein de sociétés holdings afin que les dividendes versés ne soient pas pris en compte pour le plafonnement de l’ISF. De cette manière, ce sera la société holding qui sera détentrice des actions de la société distributrice de dividendes, et par conséquent, ce sera cette dernière société qui aura vocation à encaisser les dividendes.
Cette technique de l’encapsulage, en faisant qu’une société holding détienne les actions et donc perçoive les revenus distribués permet aux contribuables les plus aisés de ne pas être imposés à l’ISF au titre de ces revenus. De plus, bien que les bénéfices soient localisés dans une société, les contribuables peuvent néanmoins en profiter. À ce titre, ils peuvent opter pour un endettement auprès de la société holding ou alors, la remise des titres de la société en garantie, tout cela sous couvert d’une économie d’impôt non-négligeable.
Le législateur, conscient de ce schéma d’optimisation fiscale et des pertes que cette pratique occasionne a entendu le remettre en cause. C’est ainsi que par la loi de finances pour 2017 le législateur a rajouté un alinéa à l’article 885 V bis du Code général des impôts qui dispose comme suit : « Les revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu au premier alinéa du présent I, si l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d'un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du même premier alinéa. Seule, est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul prévu audit premier alinéa ».
Le législateur en légiférant de la sorte cherche à ce que les dividendes perçus par la société holding soient réintégrés dans la base de calcul du plafonnement de l’ISF du contribuable personne physique, et cela, à hauteur des revenus perçus et à condition qu’ils correspondent à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul de cet impôt[171].
Toutefois, le Conseil constitutionnel grand gardien des libertés fondamentales a tenu à valider cette nouvelle disposition législative tout en intégrant une réserve d’interprétation. Cette réserve, concerne notamment les contribuables qui empruntent auprès de la société ou, qui donnent en garantie les titres ou des actifs de leur holding[172]. La réserve prévoit alors que, dans le cas d’un emprunt ou d’une mise en garantie, il reviendra à l’administration fiscale de démontrer que les dépenses ou revenus du redevable sont, à hauteur de cette réintégration, assurés directement ou indirectement par la société de manière artificielle.
Ainsi, en matière de distributions de dividendes, les contribuables bien qu’ayant pu profiter de la faiblesse du système fiscal afin d’échapper à cette nouvelle imposition se sont fait rattraper par le législateur fiscal qui a décidé de mettre un terme à ce schéma d’optimisation. Ainsi, en soumettant les dividendes à une contribution supplémentaire, le législateur vient tout à la fois, alourdir la pression fiscale et décourager les contribuables quant à la perception de dividendes. Ainsi, la création de cet impôt a porté une inévitable et importante atteinte au principe de neutralité.
Plus récemment, lors de sa campagne présidentielle, l’actuel président, Monsieur Emmanuel Macron s’était engagé à supprimer l’ISF[173]. Si cet engagement venait à son terme, la suppression de cet impôt s’analyserait comme un virage à 360 degrés et à l’émanation d’une nouvelle politique fiscale soucieuse de respecter le principe de neutralité en droit fiscal.
L’engagement de campagne fut mené à son terme, puisqu’à l’article 31 de la loi de finances pour 2018 a prévu la suppression de l’ISF à compter du 1er janvier 2018[174]. Toutefois, cette suppression s’est accompagnée de la création d’un nouvel impôt, l’impôt sur la fortune immobilière (ci-après IFI) codifié aux articles 964 à 983 du Codé général des impôts.
L’IFI reprend les caractéristiques principales de l’ISF, à savoir : il n’a vocation à s’appliquer qu’aux redevables domiciliés en France, son seuil de déclenchement est maintenu au même montant (à savoir 1,3 millions d’euros), son montant demeure plafonné, et bien d’autres similitudes.
Dès la création de cet impôt, le Conseil constitutionnel fut saisi d’une QPC. Dans leur décision, les sages de la rue Montpensier valident l’ensemble des dispositions relatives à l’IFI, hormis une censure mineure portant sur l’usufruit et la nue-propriété, mais sans impact sur notre sujet de réflexion[175].
De part, la création d’un nouvel impôt qui vient se substituer à l’ISF le gouvernement pouvait nous faire douter de sa réelle volonté d’opérer un changement de politique. En effet, nous aurions pu penser que les critiques relatives au respect du principe de neutralité que nous avions faites en matière d’ISF puissent être transposées en matière d’IFI.
Toutefois, il n’en est rien. Il existe une différence majeure entre l’ISF et l’IFI, qui explique que les critiques faites en matière l’ISF ne puissent pas être transposées en matière d’IFI, et que ce dernier impôt s’inscrit davantage dans un souci de neutralité fiscale.
La différence majeure entre l’ISF et l’IFI réside dans le fait que ce nouveau-né a une assiette plus réduite, dans le sens où, elle est réduite aux seuls biens et droits immobiliers. Le CGI dispose ainsi, que les contribuables soumis à l’IFI ne le seront qu’au « titre des immeubles et droits immobiliers qu’ils n’affectent pas à leur activité professionnelle, ou qu’ils détiennent via des sociétés lorsque ces biens ou droits ne sont pas affectés à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale des sociétés en cause [176]».
Ainsi, en matière de distribution de dividendes, le législateur semble indiquer que ces revenus bénéficieront d’une meilleure neutralité fiscale. Lors du paiement des dividendes en numéraires, ceux-ci étant considérés comme des biens meubles incorporels par nature, ils échapperont donc à ce nouvel impôt.
Il faudra toutefois prêter attention aux deux autres modes de distribution des dividendes, à savoir le paiement du dividende par action ou par remise d’un bien. En se voyant attribuer un immeuble en paiement du dividende, le contribuable risque de se voir imposer à l’IFI si la valeur de ce bien excède 1,3 millions. Ce raisonnement peut être transposable au cas d’un paiement du dividende par action, à la nuance près, qu’il conviendra de tenir compte de la participation dans la société ainsi que de la nature du bien afin de déterminer si le contribuable risque d’être imposé à l’IFI.
Si le législateur veille à instaurer une certaine neutralité dans l’imposition des dividendes en excluant ces derniers de l’IFI, il le permet également en développant un certain nombre de régimes de faveur.
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C°/ La création de régimes de faveur : impatriés, fusion
Le législateur soucieux de préserver le principe de neutralité s’est efforcé de multiplier les dérogations au régime de droit commun applicable à la taxation des dividendes. C’est ainsi notamment que se sont développés les régimes applicables aux impatriés (1) ainsi qu’aux fusions (2).
1°/ La taxation des dividendes des impatriés
Une modification importante du régime des impatriés a eu lieu le 1er janvier 2004. Depuis cette date, les salariés et dirigeants de sociétés de capitaux soumis au régime fiscal des salariés exerçant, pour le compte d’un employeur établi à l’étranger et pour une période limitée, une activité professionnelle dans une entreprise établie en France bénéficient sous certaines conditions de plusieurs avantages fiscaux.
L’ensemble de ces avantages fiscaux et des conditions à remplir afin de bénéficier du régime des impatriés se trouvent aux articles 81 B et suivants du CGI ainsi qu’au BOFiP[177].
Pour premier avantage, les contribuables « impatriés » ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu « à raison des éléments de leur rémunération directement liés à cette situation[178] ». Cela signifie que les impatriés ne seront pas soumis à l’impôt sur le revenu à raison des suppléments de rémunération qu’ils auraient perçus en raison de l’exercice de leur activité professionnelle en France.
Le deuxième avantage permet, sur option du contribuable, à être exonéré de l’impôt sur le revenu à raison de la part de rémunération ayant un lien avec son activité exercée à l’étranger, sans toutefois que la « fraction ainsi exonérée ne puisse excéder 20 % de la rémunération imposable[179] ».
Le troisième avantage consiste en, une faculté de déduire de leur rémunération les cotisations sociales versées aussi bien aux régimes légaux de sécurité sociale de leur état d’origine, qu’aux régimes de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire, obligatoire ou facultative, à laquelle ils étaient affiliés avant leur prise de fonctions en France[180].
Il est important de noter que depuis la loi de finances pour 2017, l’exonération d’impôt sur le revenu a été étendue afin d’être accordé jusqu’au 31 décembre de la huitième année civile suivant celle de la prise de fonction en France. Toutefois, ce nouveau régime n’est appliqué qu’aux personnes ayant pris leurs fonctions qu’à compter du 6 juillet 2016, les autres restant soumis à l’ancien régime fiscal.
Les impatriés bénéficient d’un régime de faveur en ce qui concerne leur rémunération. Par conséquent, il serait intéressant dans un objectif d’optimisation fiscale de comparer le montant de l’impôt dû s’il ne percevait que des salaires ou des dividendes afin d’opter pour le mode de rémunération le moins taxé.
Toutefois, il convient de rappeler que l’arbitrage entre la perception d’un salaire ou des dividendes ne doit pas être basé que sur les seuls avantages fiscaux, mais qu’il convient de tenir compte de facteurs extérieurs tels que les droits à la retraite du contribuable.
En ce qui concerne plus précisément les revenus de capitaux mobiliers. Il est prévu que les revenus de capitaux mobiliers, ce qui inclut inévitablement les dividendes, sont exonérés de l’impôt sur le revenu à hauteur de 50 % de leur montant brut.
Toutefois, afin de bénéficier de cette exonération non-négligeable, il est nécessaire que la société ayant procédé au versement des dividendes soit une personne établie hors de France mais qu’elle soit située dans un État ou territoire ayant conclu avec la France soit une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale[181], soit un accord d’échanges de renseignements fiscaux[182].
Étant précisé qu’un établissement payeur est considéré comme établi « hors de France » dès lors que son siège social ou son établissement stable sont localisés hors de France.
A contrario, l’exonération de l’impôt sur le revenu à hauteur de 50 % n’est pas applicable lorsque l’établissement payeur est établi en France
Les impatriés bénéficient de deux régimes de faveur, l’un qui concerne leur rémunération salariale, l’autre qui concerne les dividendes étrangers. Face à ces deux régimes de faveur, il serait sûrement intéressant pour le contribuable de percevoir à la fois un salaire, ce qui lui permettrait de cotiser pour sa retraite ainsi que des dividendes, tout en bénéficiant d’une économie d’impôt non-négligeable.
En ce qui concerne plus particulièrement les dividendes, ceux-ci sont seulement imposés sur la base de 50 % de leur montant brut. Ainsi, si la trésorerie et les bénéfices de la société le permettent, il pourra être intéressant de verser le double des dividendes. Ainsi, par exemple au lieu de verser 100 €, verser 200 € de telle sorte que le contribuable percevrait 100 € en franchise d’impôt au lieu de 50 € tout en veillant à ne pas être imposé dans une tranche d’imposition sur le revenu trop élevée.
Il reste toutefois une question en suspens, celle de l’impact du PFU sur les dividendes perçus par les impatriés. Faute de disposition particulière, nous pouvons présumer que les dividendes perçus par ces derniers seront également soumis au taux de 30 %. Toutefois, il serait opportun de clarifier ce point.
Si les dividendes perçus par des impatriés bénéficient d’un régime de faveur, le législateur a également entendu offrir des avantages fiscaux aux sociétés fusionnant afin de ne pas dissuader les entreprises de se restructurer.
2°/ La taxation des dividendes en cas de fusion
Pour rappel, le droit commercial définit la fusion comme étant l’opération par laquelle deux ou plusieurs sociétés se réunissent pour n’en former qu’une seule. Cette action peut résulter soit de la création d’une société nouvelle par les sociétés existantes, soit de l’absorption d’une société par une autre[183].
Par conséquent, la fusion entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires. Par ailleurs, elle entraîne simultanément l’acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent de la qualité d’associés des sociétés bénéficiaires[184].
Le droit fiscal a également tenu à définir ce qu’il convenait d’entendre par le terme de fusion. Le CGI considère ainsi que l’on est en présence d’une fusion lorsque :
-« » ou ;
-« [185]
Toutefois, si le droit fiscal se contentait d’appliquer le droit commun lorsqu’une opération de fusion se réalisait, cela aurait des conséquences non-négligeables sur le coût fiscal de telles opérations. En effet, ces dernières atteindraient des coûts prohibitifs pour la société absorbée qui se verrait alors imposée à de multiples titres. Elle serait taxée au titre des bénéfices d’exploitation, au titre des plus-values d’actif non encore taxées, ainsi que du boni de liquidation.
Conscient de cela et soucieux de ne pas entraver les restructurations d’entreprises, le législateur a décidé d’introduire un régime de faveur codifié à l’article 115 du CGI.
Cet article dispose, qu’en « cas de fusion ou de scission de sociétés, l’attribution de titres, sommes ou valeurs aux membres de la société apporteuse en contrepartie de l’annulation des titres de cette société n’est pas considérée comme une distribution de revenus mobiliers[186] ».
Ainsi, de par cet article, le législateur indique vouloir traiter l’opération de fusion comme une simple opération intercalaire sans incidence fiscale particulière, la société absorbée poursuivant son activité au sein de la société absorbante. De telle sorte que, l’opération de fusion n’est plus assimilée à une disparition d’entreprise.
Néanmoins, les sociétés participantes à l’opération de fusion ont pu réaliser certaines opérations réciproques. Se posait notamment la question de savoir comment traiter des dividendes qui auraient été versés entre les sociétés participantes. Pour cela, il est nécessaire de distinguer deux situations selon Madame Dominique Ledouble[187] :
-
Lorsque la société absorbante a déjà reçu le dividende en provenance de la société absorbée, il convient d’imputer ce dividende à la prime de fusion en l’extournant des produits financiers ;
-
Lorsque l’absorbée a déjà reçu un dividende en provenance de l’absorbante, c’est dans les comptes de l’absorbée qu’il convient d’extourner ce dividende des produits financiers par le crédit des capitaux propres.
C’est cette même solution que la doctrine de l’administration fiscale retient en indiquant que lorsque des distributions sont « réalisées par la société absorbée au profit de la société absorbante (ou inversement), le dividende est extourné du résultat de la société bénéficiaire de la distribution qui n’a donc pas à procéder, le cas échéant, à la défalcation d’une quote-part de frais et charges dans les conditions prévues à l’article 216 du CGI [188]».
Ainsi, le législateur en créant un régime de faveur applicable aux distributions intervenues entre sociétés fusionnant s’efforce de garantir au mieux le principe de neutralité fiscale et de lutter contre les doubles impositions.
Si le législateur joue un rôle primordial dans le respect et la quête du principe de neutralité, les juges français y ont également contribués de manière non-négligeable.
II°/ Le juge, gardien protecteur de la neutralité
Le juge français veille à garantir le respect du principe de neutralité de diverses manières. Il a ainsi lutté contre la contribution de 3 % (A), contre les doubles impositions lors de l’arrêt Quémener (B), mais également en matière de TVA (C).
A°/ La contribution de 3 %
La contribution de 3 % a fait l’objet d’une importante évolution jurisprudentielle[189], les juges français essayant de parvenir à un objectif de neutralité fiscale.
Pour rappel, la contribution de 3 % a été mise en place en 2012 afin de se substituer à la retenue à la source qui frappait les dividendes versés à des organismes en placement collectif en valeurs mobilières (ci-après OPCVM) étrangers et déclarée contraire au droit de l’Union européenne par la CJUE[190].
Si la contribution additionnelle dispose d’un taux plus modéré que la retenue à la source, 3 % au lieu de 30 %, elle dispose toutefois d’une assiette plus large, car taxant l’ensemble des montants distribués. C’est d’ailleurs ce dont il ressort de l’article 235 ter ZCA du CGI qui dispose que « la contribution est égale à 3 % des montants distribués ».
Ainsi, cette contribution a vocation à frapper les montants distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI. Cela concerne notamment les distributions résultant d'une délibération ou d'une décision officielle des organes compétents de la société, c’est-à-dire les dividendes principalement, mais aussi toutes les sommes réputées distribuées.
Cette contribution de 3 % applicable sur les dividendes a également inspiré le législateur belge, qui près d’un an plus tard, soit le 30 juillet 2013, a introduit une taxe semblable dénommée la « fairness tax ».
Très rapidement, cette taxe a soulevé quelques questions relatives à sa conformité eu égard aux Directives européennes. C’est ainsi, que la Commission européenne a décidé d’ouvrir une procédure d’infraction contre la France en février 2015 estimant que la contribution française pouvait être considérée comme contraire à la directive mère-fille du 30 novembre 2011, ainsi qu’à la liberté d’établissement codifiée à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE).
Dès lors, les péripéties juridiques qu’a connue cette taxe n’ont cessé de s’accumuler[191], certains auteurs affirmant que l’on allait vers la fin de la contribution de 3 %[192].
Cette contribution a été critiquée sur la base de multiples fondements juridiques dont les deux principaux étant, une contrariété au régime mère-fille[193], ainsi qu’une atteinte à la liberté d’établissement dans l’Espace économique et européen.
Si le Conseil constitutionnel était déjà intervenu par une décision du 30 septembre 2016[194], suivit par un arrêt du Conseil d’État du 29 mars 2017[195]. Ce seront finalement, les arrêts rendus par la CJUE le 17 mai 2017, sur saisine du Conseil d’État [196], qui marqueront une opposition de la Cour quant à la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés et qui fixeront l’essentiel du cadre juridique. C’est ainsi que la CJUE a clairement indiqué que « l'article 4 de la directive mère-fille s'oppose à l'application de la contribution de 3 % sur les montants distribués par les sociétés mères lors de la redistribution de produits de filiales » [197].
Antérieurement, à cette décision de la CJUE, le Conseil constitutionnel en 2016 avait déclaré inconstitutionnel le 1° de l’article 235 ter ZCA du CGI dans sa rédaction du 29 décembre 2015.
Dans cette décision, était seulement déclarée inconstitutionnelle, la norme emportant l’exclusion des distributions réalisées entre une filiale détenue à 95 % par sa mère (sans remplir les conditions posées par le législateur afin de bénéficier du régime de l’intégration fiscale) de l’assiette de la taxe de 3 % sur les dividendes pour méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et les charges publiques.
En effet, lorsque l’article 235 ter ZCA a été promulgué, il s’agissait de réaliser une opération de compensation financière. Ainsi, dès lors que la condition de détention de 95 % est satisfaite, il n’est plus possible de distinguer selon que le groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale[198].
Toutefois, dans cette décision, le Conseil constitutionnel ne juge pas utile de se pencher sur un argument soulevé par le législateur. Ce dernier soutenant que l’objectif de cette contribution était d’inciter les entreprises à s’autofinancer plutôt que de rémunérer les actionnaires.
Les sages considèrent toutefois, que si le législateur peut déroger au principe d’égalité en invoquant un objectif comportemental, cela n’est pas possible lorsqu’il recherche un objectif de rendement.
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel proclame l’abrogation de cette disposition, tout en prenant le soin de reporter les effets juridiques de sa décision au 1er janvier 2017.
Dans la foulée de cet arrêt, trois recours pour excès de pouvoir sont intentés afin de faire annuler les précisions apportées par l’administration fiscale. Sont également déposées des questions prioritaires de constitutionnalité (ci-après QPC) par l’association française des entreprises privées (ci-après AFEP) ainsi que par une vingtaine de grands groupes.
C’est ainsi qu’en juin 2016 le Conseil d’État se prononce sur ces quatre QPC et conclu au renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel et au renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Finalement, le 29 mars 2017, le Conseil d’État conclu que la différence de traitement qui résulte du 1° de l’article 235 ter ZCA du CGI tel qu’interprété par l’instruction attaquée s’avère incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Toutefois, il a fallu attendre le 17 mai 2017 pour que la contribution de 3 % sur les dividendes soit considérée comme contraire à la directive mère-fille. Néanmoins, à ce stade des péripéties jurisprudentielles, il semblait que seules les redistributions des dividendes fussent de nature à être éventuellement exclues de l'assiette de la contribution en ce qu'il existe une différence de traitement entre ceux d'origine européenne et ceux issus de filiales françaises ou situées dans un État tiers.
Les controverses et incertitudes jurisprudentielles sont finalement levées par une décision du 6 octobre 2017 par laquelle le Conseil constitutionnel, juge dans son ensemble la contribution de 3 % contraire à la Constitution, pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et les charges publiques[199].
Suite à cette décision historique, l’inspection générale des finances (ci-après IGF) a remis le 13 novembre 2017 un rapport sur l’annulation par le Conseil constitutionnel de la contribution de 3 %[200]. Ce rapport révèle qu’hormis un signalement dans la revue de droit fiscal[201], il n’était pas possible d’anticiper les risques juridiques apparus. Toutefois, il était possible d’identifier lesdits risques dès l’arrêt de la CJUE rendu à propos d’une taxe similaire belge.
Se faisant l’écho de cette décision, l’article 13 du projet de loi de finances pour 2018 présenté le 27 septembre en Conseil des ministres prévoit la suppression de cette contribution pour les dividendes versés à compter du 1er janvier 2018. Quant à lui, le Conseil constitutionnel indique que sa décision d’inconstitutionnalité a vocation à s’appliquer à l’ensemble des affaires non jugées définitivement au 8 octobre 2017, date de publication de la décision au Journal Officiel. Cette décision a donc vocation à s’appliquer aux distributions intervenues antérieurement au 1er janvier 2018.
Cet arrêt devrait avoir des conséquences non-négligeables sur les finances publiques dans la mesure où cette contribution rapporte chaque année environ 1,9 milliards d’euros par an. Selon le Gouvernement, la décision d’inconstitutionnalité fait peser près de 10 milliards d’euros de remboursement à la charge de l’État, et risque d’empêcher la France de se conformer avec la procédure imposée par l’Union européenne visant à estomper le déficit excessif français.
Toutefois, cette perte budgétaire et ce remboursement ont été anticipés par le gouvernement et devraient être compensés de plusieurs manières.
À cet effet, et afin de compenser le coût de ces remboursements, l’article 1er de la première loi de finances rectificatives pour 2017 instaure deux contributions assises sur l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat des exercices clos entre le 31 décembre 2017 et le 30 décembre 2018[202] :
- Une contribution exceptionnelle due par les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros, à hauteur de 15 % du montant d'impôt sur les sociétés dû ;
- Une contribution additionnelle à la contribution exceptionnelle, s'ajoutant donc à cette dernière, due par les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 3 milliards d'euros, à hauteur de 15 % de leur montant d'impôt sur les sociétés.
Ainsi, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 3 milliards d’euros, sont soumises à la fois, à la contribution exceptionnelle et à la contribution additionnelle.
Néanmoins, la décision prise par le législateur d’instaurer deux nouvelles taxes cumulables a choqué certains auteurs[203]. Tout d’abord, ces derniers soutiennent que le contentieux aurait été moins onéreux si les pouvoirs publics avaient réagi à temps. Ensuite, les entreprises cumulant les deux nouvelles taxes (ce qui représente environ 220 entreprises selon le ministre des Finances) seront largement perdantes, car elles paieront plus de contributions qu’elles ne bénéficieront de remboursement.
Si le Conseil constitutionnel veille à la préservation du principe de neutralité, telle est la même préoccupation du Conseil d’État dans son fameux arrêt Quémener.
B°/ L’arrêt Quémener
Les sociétés de personnes de droit français sont dites « translucides » ou « semi-transparentes », par abus de langage elles sont parfois qualifiées de sociétés « transparentes »[204]. Ces sociétés sont taxées de manière originale, dans le sens où, les bénéfices réalisés par la société sont directement imposés entre les mains de l’associé sans que la moindre distribution de bénéfices ne soit réalisée. Chaque associé sera imposé à proportion de la part qu’il détient dans la société sans avoir à rechercher si l’associé a effectivement appréhendé sa quote-part[205], ni s’il a pu en disposer[206].
Les sociétés de personnes, c’est-à-dire, les sociétés n’ayant pas opté pour le régime des sociétés de capitaux ne sont pas seulement originales, elles sont également complexes. Le Professeur Maurice Cozian avait d’ailleurs qualifié la fiscalité de ces sociétés de « sac d’embrouilles [207]».
Pour preuve de ce véritable « calvaire » fiscal, nous pouvons citer le transfert instantané des bénéfices. Ce transfert n’est pas neutre dans la mesure où il existe un décalage entre l'appréhension fiscale des résultats et leur répartition juridique[208]. De ce fait, un associé pourra être imposé selon sa quote-part en raison des bénéfices réalisés par la société alors même qu’ils n’ont pas été encaissés.
Ainsi, les contribuables soucieux de créer une société, se lanceront nécessairement et inévitablement, dans une comparaison des différences de régime fiscal existant entre les sociétés de capitaux et de personnes. De ce fait, la cohabitation de deux régimes distincts constitue une atteinte inévitable au principe de neutralité.
Toutefois, conscient des lacunes du régime fiscal des sociétés de personnes, le Conseil d’État, a à l’occasion de l’arrêt Quémener du 16 février 2000 créé de manière totalement prétorienne une règle de calcul ayant pour objet de lutter contre les doubles impositions et permettre ainsi d’assurer une neutralité fiscale.
Le juge de l’impôt n’a eu d’autre possibilité que de mettre un terme au « concordisme fiscalo-juridique »[209]. Cette nécessité, d’élaborer un raisonnement purement fiscal s’explique par le fait que, ni le droit civil, ni le droit des sociétés n’étaient en mesure de donner un fondement juridique à la solution fiscale d’un problème fiscal.
Par ailleurs, le commissaire du gouvernement, Monsieur Bachelier, n’avait pas nié cette atteinte au concordisme dans ses conclusions, il considérait que la jurisprudence Quémener et Baradé avaient pour objectif de « mettre fin, par un mécanisme à la fois prétorien et strictement fiscal, à des situations de double imposition découlant du régime fiscal des sociétés de personnes ».
Si cet arrêt aurait pu être mal accueilli en doctrine en raison de son caractère prétorien, il n’en fut rien en pratique, les plus grands auteurs du droit fiscal parlant de « décision de principe », de « décision heureuse » et de « grand arrêt ».
Par la suite, le Conseil d’État toujours soucieux de faire respecter le principe de neutralité fiscale et de lutter contre les doubles impositions a étendu la portée de l’arrêt Quémener. C’est ainsi que, par un arrêt rendu le 6 juillet 2016, dit arrêt « Lupa [210]» le Conseil d’État a considéré que la détermination de la plus ou moins-value réalisée par une société soumise à l’impôt sur les sociétés lors de l’annulation ou la cession de parts d’une société relevant du régime prévu à l’article 8 du Code général des impôts obéit aux modalités de calcul tels que posées par la jurisprudence Quémener[211].
Toutefois, à l’occasion de ce même arrêt le Conseil d’État a introduit une limite à la jurisprudence Quémener. Les juges considèrent que cette solution de principe n’a vocation à s’appliquer que dans le but d’assurer une neutralité fiscale. Ce qui signifie que la correction du prix de revient des titres ne doit être mise en œuvre que lorsqu’elle est nécessaire pour faire obstacle à une double imposition effective[212].
Cet arrêt reçu un accueil moins unanime en doctrine, certains auteurs considérant cette restriction comme « surprenante [213]». Toutefois, cette décision est conforme aux conclusions de la commissaire du gouvernement, Madame Nathalie Escaut, qui a rappelé les motifs qui avaient conduit à l’adoption de l’arrêt Quémener. En effet, ce dernier visait à « ne pas taxer la plus-value réelle et … ne pas soumettre à l’impôt, lors de la cession, des sommes qui ont déjà été effectivement imposées ».
De cet objectif, la commissaire du gouvernement en a logiquement déduit que le mécanisme correcteur de Quémener n’avait vocation à s’appliquer qu’en présence d’une double imposition effective. La commissaire a toutefois tenu à préciser que « la jurisprudence Quémener répond à un objectif exclusivement fiscal. Il ne tend pas à la neutralité économique » [214].
Suite à cet arrêt le Conseil d’État a été saisi d’une QPC visant à critiquer la limite apportée par l’arrêt Lupa pour deux motifs.
Le premier motif invoqué, était relatif au fait que cela revient à traiter différemment des contribuables qui se trouvent dans une situation identique. Le second quant à lui, soutenait qu’il y avait une imposition des contribuables en méconnaissance de leurs facultés contributives.
Le Conseil d’État a tranché ce litige par un arrêt du 28 juillet 2017. Il a ainsi refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel[215] suivant les conclusions de son rapporteur public Monsieur Romain Victor.
Ce dernier avait fait valoir que contrairement à ce que les requérants soulevaient, le mécanisme de correction du prix de revient qui ne trouve à s’appliquer qu’en présence d’une double imposition « a précisément pour objet de mettre en œuvre le principe d’égalité devant les charges publiques » et qu’aucune critique sur le terrain du principe d’égalité devant la loi n’est recevable dans le mesure où la différence de traitement qui résulterait de l’application du mécanisme n’interviendrait qu’entre des contribuables placés dans des situations identiques[216].
En effet, selon la Haute Assemblée, le correctif concerné participe ainsi à la mise en œuvre du principe d'égalité devant les charges publiques (point 5), et ne crée pas, selon qu'il s'applique ou non, de différence de traitement injustifiée entre les contribuables (point 6)[217].
Le Conseil d’État par un arrêt du 8 novembre 2017[218] vient apporter la dernière pierre à son édifice créé de manière prétorienne en 2000. Il est ainsi venu indiquer, que lors du calcul de la plus-value de cession de parts, il est nécessaire de tenir compte de la plus-value exonérée réalisée par une Société civile immobilière.
Cette solution s’explique, comme le souligne le rapporteur Vincent Daumas reprenant la formule de Gille Bachelier dans ses conclusions sous l’arrêt « Quémener », que l’objectif poursuivi par le juge administratif est « d’éviter que l'administration ne reprenne d'une main (lors de la cession des titres de la société fiscalement transparente) ce qu'en vertu de la loi elle a accordé de l'autre (exonération de la plus-value réalisée par la société), et ne transforme ainsi un avantage définitif en une simple avance de trésorerie ».
Depuis l’arrêt Quémener, la formule de calcul visant à assurer une neutralité fiscale a connu de nombreux changements. Afin de calculer ce prix de revient, il est possible de recourir à la formule algébrique détaillée ci-dessous.
En principe, les contribuables ayant opté pour la constitution d’une société de personne verront les bénéfices réalisés par la société imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, en dépit de toute distribution. Toutefois, si les associés venaient à céder leurs parts sociales, ils devraient être à nouveau imposés sur la plus ou moins-value réalisée à cette occasion.
Néanmoins, malgré une évolution constante de la jurisprudence depuis l’arrêt Quémener de 2000, les juges du Palais royal ont eu à cœur de préserver le contribuable (personne physique) contre les doubles impositions.
Ainsi, les bénéfices qui auront été imposés entre les mains de l’associé du simple fait de leur réalisation ne seront pas imposés une seconde fois lorsque le détenteur des parts sociales décidera de les céder. Par conséquent, en ne taxant qu’une seule fois les bénéfices réalisés, les sociétés de personnes sont respectueuses du principe de neutralité fiscale.
Ce respect du principe de neutralité n’aurait pas été permis sans l’intervention des juges administratifs qui font un travail formidable et envers qui nous devons nous montrer reconnaissants. Toutefois, s’ils sont intervenus en matière de sociétés de personnes, ils ont également joué un rôle non-négligeable en matière de déduction de TVA.
C°/ Assurer la neutralité en matière de TVA
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, les dividendes sont dits « hors champ d’application »[219]. Ce principe découle de trois arrêts rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes (ci-après CJCE) qui a indiqué les raisons pour lesquelles ces revenus devaient être considérés « hors champ ».
Ces revenus doivent être considérés ainsi dans la mesure où, ils ne sont la contrepartie d’aucune activité économique[220], qu’ils ne sont que le résultat de la détention du capital[221] et, qu’il y a une absence de lien direct entre le dividende qui est fixé de façon unilatérale par la filiale et l’activité de prestation éventuelle de la société mère[222].
Tirant les conséquences de la jurisprudence précitée, la CJUE a indiqué que les dividendes n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA, qu’il y ait ou non immixtion dans la gestion de la filiale[223].
Ainsi, en matière de distribution de dividendes, le fait que ces revenus soient considérés « hors champ » permet à la société de ne pas être imposée, de faire des économies d’impôt, mais avant tout de préserver le principe de neutralité fiscale.
Toutefois, si les dividendes n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA, se pose la question de savoir si, les sociétés peuvent exercer leur droit à déduction. Ce droit à déduction est notamment régi par l’article 271 du CGI, ainsi que les articles 168 et 173 de la directive du 28 novembre 2006[224] qui disposent que « dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, ... de déduire du montant de la taxe dont il est redevable » certains montants. Étant précisé que la déduction n’est admise que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférant aux opérations ouvrant droit à déduction.
Cette question du droit à déduction de la TVA s’est notamment posée en ce qui concerne les holdings mixtes pour lesquelles il a fallu attendre 25 ans avant que le Conseil d’État ne s’aligne sur la jurisprudence de la CJUE[225]. C’est lors des affaires Ginger I et Ginger II dans lesquelles était en cause la société Ginger (société holding) qui détenait des participations et percevait des recettes soumises à la TVA au titre de son immixtion dans la gestion de ses filiales, ainsi que des dividendes non soumis à la TVA résultant de sa simple qualité d’actionnaire que s’est posée la question de la possibilité de déduire la TVA.
Tout d’abord, il est important de noter que ces hésitations jurisprudentielles en matière de droit à déduction trouvent leur origine dans l’arrêt Polysar rendu par la CJUE le 20 juin 1991[226] dans lequel la Cour affirme que la simple acquisition et détention de parts sociales ne saurait être considérée comme une activité économique. Toutefois, la cour a introduit une brèche, en déclarant qu’il en va « différemment lorsque la participation est accompagnée d’une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés où s’est opérée la prise de participation ». Afin de déterminer si une immixtion est caractérisée ou non, il convient de se référer aux arrêts Floridienne et Berginvest, ces derniers considérant que l’immixtion est caractérisée dès lors que celle-ci conduit à « la mise en œuvre de transactions soumises à la TVA en vertu de l’article 2 de cette directive, telles que la fourniture de services administratifs, comptables et informatiques[227] ».
Finalement, la CJUE avait conclu dans un arrêt rendu le 16 juillet 2015 que « les frais liés à l’acquisition de participations dans ses filiales supportés par une société holding qui participe à leur gestion et qui, à ce titre, exerce une activité économique doivent être considérés comme faisant partie de ses frais généraux et la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur ces frais doit, en principe, être déduite intégralement, à moins que certaines opérations économiques réalisées en aval ne soient exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée [228]». Ainsi, la CJUE a opéré une distinction entre les sociétés holding qui s’immiscent et celle qui ne s’immiscent pas dans la gestion de leurs filiales, tout en affirmant que la perception de dividendes ne peut pas avoir pour conséquence de limiter le droit à déduction de l’assujetti.
Toutefois, si des doutes existaient quant aux cas permettant de déduire la TVA, ceux-ci étaient dus au Conseil d’État, qui dans un arrêt rendu le 27 juin 2012[229] avait considéré de manière générale que la perception de dividendes de filiales constituait une activité à caractère non-économique qui n’entrait pas dans le champ d’application de la TVA, cela sans distinguer les cas dans lesquels il y avait une immixtion ou non dans la gestion de la filiale.
Ainsi, il existait une véritable divergence de jurisprudence entre la CJUE et le Conseil d’État. Tout cela fut corrigé quatre ans plus tard, lors d’un arrêt rendu par le Conseil d’État le 20 mai 2016[230] dans lequel il rejoint finalement la position de la CJUE. Dans cet arrêt, le Conseil d’État considère qu’une holding mixte qui perçoit des dividendes et s’immisce dans la gestion de ses filiales en lui rendant des prestations de « management » à titre onéreux ne peut pas être privée de son droit à déduction de la TVA ayant grevé ses frais généraux.
Le Conseil d’État à l’occasion de cet arrêt vient ainsi résumer 25 années de jurisprudence communautaire et placer le droit français en conformité avec la législation européenne en matière de déduction de TVA. Toutefois, ces arrêts illustrent également la ténacité de l’administration fiscale, qui pendant près d’un quart de siècles n’a cessé de vouloir restreindre le droit à déduction des assujettis dans le cadre des holding mixtes tandis que la CJUE y était opposée.
Par ailleurs, il est important de noter que le champ d’application de l’arrêt rendu par le Conseil d’État est plus large que celui de la CJUE, ce premier s’entendant de l’ensemble des frais généraux supportés par la société holding.
D’un point de vue pratico-pratique, ce droit à déduction de la TVA concerne la majorité des sociétés holding, notamment celles qui rendent des prestations de services aux filiales dont elles perçoivent des dividendes. Il convient d’attirer l’attention des professionnels sur le fait que, le montant déductible de la TVA étant corrélé aux activités exercées, il convient de renforcer dans les conventions de prestations et d'animations le détail et la nécessité des services rendus par rapport à l'activité économique et de préciser le coefficient d'affectation par rapport aux activités « non-économiques », résultant de la non-immixtion dans certaines filiales.
Pour résumer, depuis l’arrêt rendu par le Conseil d’État en 2016, la TVA qui grève les frais liés à l’acquisition des titres exposés par une holding sont déductibles en totalité dès lors que la société détenant les titres participe à la gestion de l’intégralité de ses filiales et exerce, à ce titre, une activité économique. De plus, le Conseil d’État affirme que la perception de dividendes non soumis à TVA par une société n’impacte en aucun cas son droit à récupération de la TVA.
Par une lecture a contrario, lorsqu’une société holding est « pure » et que par conséquent elle ne s’immisce pas dans la gestion de ses filiales et n’exerce pas d’activité économique, elle ne dispose pas de la faculté de récupérer la TVA d’amont.
De plus, il est possible de tirer une autre conséquence d’une lecture stricte de cet arrêt. La TVA est déductible lorsque la société Holding s’immisce dans la gestion des filiales. Tandis que, la TVA est non-déductible à défaut de caractériser cette immixtion. Par conséquent, si l’immixtion est partielle, car elle ne concerne que certaines filiales alors le droit à déduction serait partiel[231].
Si en matière de TVA les juges du Conseil d’État ont fait évoluer leur jurisprudence vers une plus grande neutralité fiscale, le droit externe n’y est pas resté étranger.
Section 2 : Le droit externe, restaurateur de la neutralité
Le droit externe est également concerné par la nécessité de préserver le principe de neutralité aussi bien au niveau communautaire (I), qu’au niveau international (II).
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I°/ Le droit communautaire, source de neutralité
Le droit communautaire incite les États à respecter le principe de neutralité en élargissant constamment le périmètre de l’intégration fiscale (B), mais également en créant un régime de faveur, à savoir le régime mère et filiale (A).
A°/ Le régime mère-fille
Préalablement à l’instauration du régime mère-filiale (parfois également appelé mère-fille), la Commission européenne avait en 1969 présentait une proposition au Conseil de l’Europe afin d’harmoniser totalement la fiscalité applicable aux groupes de société, à l’image de la taxe sur le chiffre d’affaires.
Cette proposition est restée lettre morte jusqu’à l’adoption en 1990[232] d’une directive harmonisant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents. En 2003[233], cette directive a été modifiée, avant d’être définitivement remplacée en 2011[234].
Ces directives ont eu un impact important sur la souveraineté des États en matière de fiscalité. En effet, les États membres se voient contraints de supprimer de manière unilatérale les doubles impositions des flux financiers intra-groupes et non plus de manière conventionnelle[235].
Le droit européen a préféré recourir à des directives plutôt qu’à des règlements afin de ne pas porter une atteinte trop importante à la souveraineté des États en matière de fiscalité. Il n’en demeure pas moins, que ces directives ont comme objectif principal d’obliger les États à supprimer de manière unilatérale les éventuels impôts dont doivent s’acquitter les sociétés lorsqu’elles décident de distribuer des dividendes.
Ainsi, le législateur européen, voulant supprimer les doubles impositions que subissaient les dividendes a agi comme un véritable instaurateur de neutralité fiscale.
En droit interne le régime fiscal applicable aux sociétés mères se situe aux articles 145 et 216 du Code général des impôts.
Il est important de noter que chaque société membre du groupe conserve sa propre personnalité, chacune est donc imposable à titre individuel même si le législateur a apporté d’importants correctifs à ce principe afin de ne pas pénaliser une forme d’organisation qui joue un rôle essentiel dans la vie économique moderne.
L’intérêt majeur de ce régime réside dans le fait que les produits de participation perçus par une société pouvant bénéficier de ce régime de faveur ne sont pas pris en compte dans le résultat imposable de la société qui perçoit ces produits à l’exception d’une quote-part de frais et charges de 5 % censée correspondre aux frais et charges supportés par la société qui applique ce régime. De ce fait, les produits de filiales seront exonérés à hauteur de 95 % et les contributions additionnelles à l’impôt sur les sociétés ne seront supportées que sur cette quote-part.
En matière de distributions de dividendes, cela se traduit concrètement par une réduction de l’assiette imposable à 5 %. Ainsi, une société mère qui percevrait 100 € de dividende, serait seulement imposée à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun, sur une assiette de 5 €.
Cette faculté avait été prévue par les différentes directives qui disposaient que « tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale [236]».
Cette instauration d’une quote-part de frais et charges de 5 % résulte d’une modification apportée à l’article 216 du Code général des impôts en 2010 qui a supprimé la faculté qui était laissée au contribuable d’opter pour la prise en compte au titre de la quote-part de frais et charges, des frais réellement engagés. De ce fait, lorsque le montant des frais engagés est inférieur au taux de 5 %, la société mère devra constater un produit imposable du seul fait de la réintégration de la quote-part.
Cette modification qui est intervenue en 2010 est d’autant plus critiquable, que le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 23 juillet 1990[237] avait considéré que le plafonnement de la quote-part aux montant des frais et charges réellement engagés est compatible avec la directive numéro 90/435/CEE.
Il convenait toutefois de savoir ce qu’il convenait d’entendre par « bénéfices distribués » et notamment s’il y avait lieu d’y inclure les crédits d’impôts octroyés. La CJCE saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’État[238], affirme que la directive mère-fille ne s’oppose pas à l’inclusion dans les bénéfices de crédits d’impôts qui ont été octroyés en vue de compenser une retenue à la source opérée par l’État membre de la filiale, et ce alors même que la société mère n’a pas pu utiliser les crédits. Pour la CJCE, l'absence éventuelle de neutralité fiscale des distributions transfrontalières de bénéfices est l'effet, non pas de l'inclusion de crédits d'impôt dans le montant forfaitaire des frais de gestion, mais de la possibilité laissée à certains États de prélever une retenue à la source sur les distributions à une société mère située dans un autre État de l'Union européenne [239].
Nous pouvons noter que si l’Union européenne a pour objectif d’assurer une neutralité fiscale, elle doit toutefois veiller à ne pas porter une atteinte trop importante à la souveraineté des États. Ceci explique qu’en matière de crédits d’impôts, la Cour bien que consciente d’une possible atteinte à la neutralité fiscale, ne puisse condamner un État ayant utilisé de ses prérogatives en la matière, car il s’agirait alors, d’une remise en cause de sa souveraineté.
La base de calcul prend en compte l’ensemble des participations, crédits d’impôt compris[240]. À noter, que pour les exercices clos avant le 31 décembre 2004 il s’agissait de l’avoir fiscal, tandis que pour les exercices clos postérieurement il s’agit du crédit prévu au sein de la convention fiscale internationale conclue entre la France et le pays en question.
Comme l’ensemble des décisions fiscales que doit prendre un contribuable, il convient de bien analyser sa situation afin de déterminer s’il est préférable d’opter pour le régime de faveur ou le régime de droit commun. Toutefois, de manière générale, le régime des sociétés mères et filiales s’avère plus avantageux[241]. Néanmoins, afin de bénéficier de ce régime, il est nécessaire de satisfaire à quatre conditions cumulatives.
Tout d’abord, il est nécessaire que la personne morale qui revendique l’application du régime mère et filiale soit soumise à l’impôt sur les sociétés de plein droit ou sur option, peu important la nationalité et l’activité exercée.
Par une lecture a contrario, il est possible d’en déduire que les sociétés souhaitant intégrer ce groupe ne peuvent être des sociétés de personnes[242].
Ensuite, les titres doivent être détenus en pleine ou en nue-propriété et présenter au moins 5 % du capital social de la société émettrice. Par une lecture a contrario, une société qui ne détiendrait que l’usufruit des titres de sa filiale ne pourrait prétendre à l’application de ce régime. C’est cette position qui a été retenue par le Conseil d’État et la Cour de Justice des Communautés Européennes[243].
De plus, il est nécessaire de détenir au moins 5 % du capital. D’ailleurs, cette question relative à la détention des titres a soulevé de nombreuses discussions puisque par une loi du 30 décembre 2005, qui s’applique aux distributions effectuées au cours des exercices clos depuis le 31 décembre 2005, le législateur a modifié l’article 145 du Code général des impôts afin d’indiquer que le régime de faveur ne s’appliquerait qu’aux sociétés mères détenant des titres représentatifs d’au moins 5 % du capital et 5 % des droits de vote de la société émettrice.
Face à des conditions strictes d’application, un certain nombre de voix et de contentieux se sont envolés. C’est le Conseil d’État qui a le premier considéré en 2014[244] que la détention de 5 % du capital avec moins de 5 % des droits de vote ouvrait droit au régime de faveur. Face à cela, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC le 18 mai 2016[245], et dont il a rendu sa décision le 8 juillet 2016 conduisant à la censure de cette disposition[246].
Bercy a tiré les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité en modifiant le bulletin officiel des finances publiques – impôts[247] , suivi par le législateur qui a abrogé la disposition censurée par une loi du 29 décembre 2016[248]. Désormais, il suffit de détenir 5 % des droits de vote pour bénéficier du régime de faveur (sous réserves de respecter les autres conditions cumulatives).
Finalement, les titres doivent être détenus pendant au minimum 2 ans[249]. Néanmoins, le législateur a permis que les produits des titres de participation bénéficient de l’exonération dès la première année de détention[250], tout en précisant que cette exonération ne serait définitive qu’au bout de la deuxième année de détention.
Par conséquent, une société qui céderait ses titres avant les deux ans devra déposer une déclaration rectificative et s’acquitter de l’équivalant de l’impôt sur les sociétés dont elle a été indûment exonérée, et tout cela majoré d’un intérêt de retard de 0,40 % par mois.
Ainsi, le contribuable en quête de neutralité devra tout d’abord commencer par vérifier si ce régime de faveur est réellement plus avantageux que le régime de droit commun français. Le principe de neutralité subit ici une atteinte dans la mesure où le contribuable va voir son comportement orienté par le législateur. En effet, le contribuable va être incité à opter pour le régime de faveur, dans la mesure où il est dans la quasi-totalité des cas plus intéressant.
Toutefois, cette atteinte de nature « comportementale » au principe de neutralité doit être nuancée. Elle a pour objectif principal de lutter contre les doubles impositions que l’on connaît en droit commun, et donc d’y remédier afin, d’assurer une meilleure neutralité fiscale.
Le droit communautaire, en ce qui concerne les impositions des dividendes, n’est pas seulement intervenu au moyen du régime mère-fille, il est également intervenu au moyen de l’intégration fiscale.
B°/ L’élargissement de l’intégration fiscale : horizontale, verticale, papillon
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Le régime de l’intégration fiscale a vu le jour dans les 1970. Toutefois, ce dernier n’était alors octroyé que sur un agrément, d’où sa confidentialité. Il a fallu attendre les années 1980 pour que la notion de groupe prenne un nouveau sens fiscal.
En effet, en 1988, le législateur a permis que les sociétés le désirant consolident fiscalement leurs résultats pour les besoins de l’impôt direct sur les sociétés. Depuis lors, ce dispositif fiscal fut de nombreuses fois amendé et complété afin de renforcer la neutralité des opérations intragroupes.
Désormais, le régime de l’intégration fiscale est régi par les articles 223 A à 223 U du CGI. Ces derniers, permettant aux sociétés soumises à l’IS[251] de nommer une société tête de groupe, établie en France, afin de former avec les filiales détenues à 95 % un groupe fiscal intégré. Il est important de noter, qu’une société étrangère peut être membre d’un groupe intégré, à condition qu’elle possède un établissement stable soumis à l’IS en France et qu’elle ait donné son consentement.
Toutefois, afin de bénéficier du régime de l’intégration fiscale le législateur interdit que la société mère soit détenue à 5 % au moins par une autre société passible de l’IS[252]. De par une lecture a contrario de cette disposition, il est possible d’en tirer plusieurs conséquences.
Tout d’abord, il n’est pas interdit à la société mère d’être détenue par une société étrangère ou une société soumise à l’impôt sur le revenu.
Ensuite, il est possible pour la société mère d’être détenue par plusieurs sociétés françaises soumises à l’IS, sans qu’aucune d’entre elles ne détiennent 95 % du capital de la société mère.
Le régime de l’intégration fiscale, dans un souci d’assurer la neutralité fiscale des opérations intra-groupes a fait l’objet de nombreuses évolutions tant jurisprudentielles que législatives.
Suite à l’arrêt Papillon rendu par la CJUE en 2008, le législateur, dans le cadre de la loi de finances rectificatives pour 2009[253] a étendu le mécanisme de neutralisation aux dividendes versés par une société intermédiaire lorsque celle-ci est située dans un État membre de l’Union européenne, dans un État partie à l’Espace économique européen ou dans un État ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, pour autant que les dividendes proviennent d’une distribution faite par une sous-filiale intégrée à la société intermédiaire. En revanche, la filiale étrangère interposée est exclue du périmètre de l’intégration fiscale.
De par cette loi, le collectif budgétaire a modifié le périmètre des groupes intégrés afin d’y inclure les filiales détenues via des sociétés intermédiaires étrangères. Ainsi, le législateur préserve la neutralité fiscale dans le cadre d’une intégration.
Si, d’une manière générale et de façon constante, le législateur et juge européen s’efforcent d’élargir le périmètre de l’intégration fiscale, ils n’entendent pas permettre un élargissement exempt de toute exception.
Ainsi, un an plus tard[254], la CJUE a rendu un arrêt dans lequel elle a tout d’abord affirmé que le refus de permettre à des sociétés non-résidentes de rejoindre l’entité fiscale formée par des sociétés néerlandaises constituait une restriction à la liberté d’établissement.
Toutefois, la Cour prend le soin de préciser que cette restriction peut être justifiée au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.
Ainsi, en l’espèce, dès lors que le périmètre de l'entité fiscale peut être librement modifié par la société mère, la Cour a considéré qu'admettre la possibilité d'y inclure une filiale non-résidente aurait pour conséquence de permettre à la société mère de choisir librement l'État membre où elle fait valoir les pertes de cette filiale.
Par la suite, le législateur lors de la deuxième loi de finances rectificative pour 2014[255] a étendu le régime de l’intégration fiscale aux sociétés sœurs détenues par une société mère non-résidente. Par cette loi, le législateur prévoit que les quotes-parts de frais et charges afférentes aux dividendes perçus par une société française membre du groupe, de l’entité mère non-résidente ou d’une société étrangère, peuvent être neutralisés pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe. Toutefois, afin de bénéficier de cela, la société mère doit être en mesure d’apporter la preuve que les dividendes proviennent d’un versement effectué par une société membre du groupe depuis plus d’un exercice, et que ceux-ci n’aient pas déjà ouvert droit à une neutralisation.
La dernière évolution jurisprudentielle en date, résulte de l’arrêt Groupe Steria SCA rendu par la CJUE en 2015. À l’occasion de cet arrêt la CJUE a considéré que le régime de l’intégration fiscale ne serait être perçu comme un bloc compact et cohérent, mais qu’il convenait de procéder à un examen in concreto, en examinant de manière isolée l’avantage consenti[256].
La Cour a censuré les dispositions françaises, au motif que cette décision ne saurait pas être regardée comme légitimant de manière générale l’exclusion des filiales non-résidentes de l’ensemble des avantages d’un régime fiscal de groupe. C’est ainsi que la Cour a rendu la décision suivante :
« Les dispositions en cause constituaient une restriction à la liberté d'établissement, en ce qu'elles désavantagent les sociétés mères d'un groupe intégré qui détiennent des filiales établies dans d'autres États membres, qui, si elles avaient été résidentes, auraient pu être comprises dans le périmètre d'intégration et, par suite, distribuer des dividendes sans aucun frottement fiscal.
Tout d'abord, dès lors que le mécanisme ne porte que sur des dividendes entrants, perçus en tout état de cause par des sociétés mères résidentes, seule est concernée la souveraineté fiscale de l'État français, par suite, la raison impérieuse tenant à la préservation du pouvoir d'imposition entre les États membres ne peut être qu'écartée.
La restriction n'est pas non plus justifiée par la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal français. En effet, cette justification ne peut être admise que pour autant qu'il existe un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l'objectif de la réglementation en cause ».
Suite à la remise en cause du régime fiscal français lors de cet arrêt[257], le Gouvernement n’a eu pour unique choix que de proposer un amendement lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2015 à l’Assemblée nationale.
Il avait été proposé, puis voté par le législateur sans modification les deux modifications suivantes.
Tout d’abord, il a été mis fin à la neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes versés entre sociétés d’un même groupe fiscal.
Puis, de manière corrélative, il a été décidé d’abaisser le taux de la quote-part de frais et charges à 1 % lorsque les dividendes sont perçus par une société membre d’un groupe, d’autres sociétés membres du groupe ou, sous certaines conditions, de sociétés établies dans un Etat de l’Union ou de l’Espace économique européen.
En effet, comme nous avons pu le voir, afin de préserver le respect du principe de neutralité, il a été décidé de neutraliser certaines opérations pouvant avoir lieu entre sociétés intégrées. Désormais, suite à l’ensemble des évolutions jurisprudentielles et législatives, il convient de distinguer trois situations différentes, qui vont produire des conséquences fiscales différentes.
La première situation concerne les sociétés ne pouvant pas bénéficier du régime mère-fille. Dans ce cas, la neutralisation des dividendes ne sera effective qu’à partir du 2e exercice[258]. Il convient néanmoins de préciser que la neutralisation des dividendes intra-groupe ne fait pas l’objet d’une réintégration en cas de sortie des sociétés concernées puisqu’il s’agit d’un avantage définitif.
La deuxième situation concerne les sociétés pouvant bénéficier du régime mère fille. Pour les distributions intervenues avant 2016 la quote-part de frais et charges (ci-après QPFC) pouvait être déduite du résultat d’ensemble. Désormais, depuis 2016 le résultat d’ensemble n’est plus diminué de la QPFC comprise dans le résultat individuel des sociétés du groupe[259]. Toutefois, afin de compenser l’impact économique de cette décision, le taux de la QPFC a été ramené à 1 %[260].
Il est important de préciser, que ce taux de 1 % n’a vocation à s’appliquer que dans le cadre de distributions intervenues entre sociétés intégrées. Pour le reste, le taux applicable est de 5 %.
La troisième situation concerne les dividendes perçus par une société membre du groupe à raison d’une participation dans une société établie hors de France. Afin de bénéficier du taux de 1 %, les sociétés établies hors de France doivent respecter deux conditions cumulatives.
Tout d’abord, la société doit être soumise à un impôt équivalant à l’impôt sur les sociétés dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.
De plus, la société doit remplir les conditions qui lui permettraient, si elle était établie en France, d'être membre du groupe auquel appartient la société bénéficiaire des produits de participations, autres que celle d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France[261].
Ainsi, en neutralisant les distributions de dividendes, hormis une QPFC, le législateur entend traiter ces opérations de distributions comme de simples mouvements de trésorerie.
Si, en instaurant le régime de l’intégration fiscale le législateur souhaite préserver le principe de neutralité, certains cas demeurent exclus de ce régime de faveur.
Ce régime de faveur ne s’applique pas lorsque la société mère redistribue ses dividendes à ses propres associés ou lorsque les dividendes sont distribués à des sociétés hors du groupe. Dans ces deux cas, il sera fait application du droit commun.
À l’ensemble de ces intégrations, il est possible de les remplacer par une dernière dite « sauvage » [262]. Cette intégration consiste, pour une société à se constituer sous la forme d’une société de personne en lieu et place d’une société de capitaux. Ceci permettant une consolidation fiscale dite « naturelle » entre la société mère et ses filiales.
Le régime fiscal est prévu à l’article 8 du CGI. Ce dernier, permet tout comme dans le cadre d’une intégration fiscale de compenser les bénéfices et les pertes. De telle sorte que, si le résultat imposable est déterminé au niveau de chaque entité, le paiement de l’impôt est quant à lui centralisé au niveau de la société mère. Ce résultat imposable est constitué de la somme algébrique des revenus individuels, peu important que les profits aient été distribués.
L’autre intérêt majeur de ce mode d’intégration réside dans le fait, qu’il est possible de procéder à une consolidation horizontale sans grande difficulté. En effet, ce régime fiscal n’est pas limité aux sociétés mères établies dans un autre État membre de l’Union européenne tandis que, du côté de l’intégration classique la possibilité d’opter pour une intégration horizontale n’a été autorisée que depuis peu et se limite aux sociétés européennes.
Toutefois, les sociétés de personnes présentent un inconvénient majeur. Le fait de recourir à ce type de sociétés génère un frottement fiscal important, car il n’est pas possible d’opter pour le régime des sociétés mères. Ainsi, si les dividendes versés par une société de personnes sont non imposables, les dividendes reçus par elle le sont.
Désormais, lorsque l’on parle d’intégration fiscal, il est un événement majeur qu’on ne peut pas occulter, il s’agit du Brexit[263].
Le 29 mars 2017 le Conseil européen a reçu une lettre de Madame Theresa May, Premier ministre britannique notifiant l’intention du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne. Cette décision fait suite à un référendum du 23 juin 2016 et marque le début du processus de retrait du Royaume-Uni en application de l’article 50 du TFUE.
Le Brexit va entraîner la sortie de l’intégration fiscale de sociétés françaises qui sont détenues par l’intermédiaire de sociétés localisées au Royaume-Uni ou la cessation de l’intégration fiscale horizontale si les sociétés françaises ont un actionnariat commun au Royaume-Uni qui est analysé comme une entité mère non-résidente.
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne va entraîner plusieurs conséquences fiscales non-négligeables. Tout d’abord, certaines sociétés françaises ne pourront plus être intégrées ce qui ne permettra plus de compenser leurs résultats avec ceux du groupe fiscal. Ensuite, les opérations intragroupes ne pourront plus être neutralisées, de telle sorte que les dividendes distribués ne seront plus soumis à une QPFC de 1 %, mais de 5 %. Finalement, la cessation ou la sortie de l’intégration fiscale pourra entraîner l’exigibilité de l’impôt sur les sociétés portant sur des opérations précédemment neutralisées.
Le Royaume-Uni dispose d’un moyen lui permettant d’éviter l’ensemble de ces conséquences fiscales, celui d’adhérer à l’Espace économique européen.
Si au niveau européen, le législateur et les juges tentent de préserver le principe de neutralité, au niveau international la même nécessité se fait ressentir.
II°/ Le droit international, source de neutralité
Le principe de neutralité tente d’être préservé au niveau international grâce à la conclusion de conventions internationales (A), comme à l’image de celle conclue entre la France et le Brésil (B).
A°/ La conclusion de conventions fiscales internationales
Afin de préserver au mieux la neutralité fiscale et de lutter contre les doubles impositions fiscales qui affectent les dividendes, la France a conclu avec un certain nombre de pays des conventions fiscales internationales.
Ces conventions sont considérées comme des traités internationaux bilatéraux au sens de l’article 55 de la Constitution et disposent à ce titre d’une valeur normative supérieure aux règles internes relatives à l’imposition des dividendes.
Ces conventions s’appliquent en droit interne aux ressortissants des États contractants même non-résidents dans l’un d’eux[264]. En ce qui concerne la France, les conventions fiscales ne seront applicables qu’une fois qu’elles auront été ratifiées par la loi[265] et publiées au journal officiel[266].
Toutefois, si les conventions fiscales sont d’une importance non-négligeable, elles n’ont vocation à jouer que de manière subsidiaire par rapport aux dispositions de droit interne.
En droit international, il convient de procéder de manière didactique. Les praticiens devront d’abord vérifier l’applicabilité de la convention fiscale internationale, avant de vérifier si les dividendes font l’objet d’un traitement spécifique, et de finalement déterminer quel État pourra imposer ces revenus et selon quelles modalités.
En matière d’applicabilité de la convention fiscale internationale et ainsi que le rappelait le commissaire du Gouvernement Monsieur Stéphane Austry, la méthode visant à déterminer l’applicabilité des conventions fiscales est ponctuée de deux étapes. « Il appartient d’abord au juge de vérifier que l’imposition a été établie conformément au droit interne, puis de déterminer la qualification sous laquelle les revenus considérés sont imposés, afin ensuite seulement de rapprocher la matière imposable ainsi qualifiée des stipulations conventionnelles pertinentes[267] ».
De telle sorte que, en pratique, afin de conclure à l’applicabilité d’une convention fiscale internationale, il convient d’adopter la démarche suivante.
Tout d’abord, il convient de regarder si le contribuable doit être regardé comme ayant son domicile fiscal en France, et cela, au regard du droit français, et avant toute prise en compte d’une quelconque convention fiscale bilatérale ayant pour effet de faire obstacle à une imposition interne.
Ensuite, le juge de l’impôt devra vérifier si une disposition interne ne permet pas de résoudre le conflit de domicile.
Finalement, ce n’est qu’en cas de réponse négative que le juge devra appliquer les conventions fiscales internationales[268].
Dominique Villemot, résumait très simplement ce principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, tel qu’il ressortait de la décision Schneider Electric. Son résumé était le suivant :
— « l'article 55 de la Constitution, qui donne aux traités internationaux une supériorité juridique, signifie qu'une imposition française ne doit pas être contraire aux conventions fiscales ;
— pour autant cet article 55 n'implique pas qu'une convention fiscale puisse créer une imposition au bénéfice de la France ;
— seule la loi nationale peut servir de base légale à une imposition. Les conventions répartissent entre les États le droit d'imposer, mais le fait de disposer d'un droit d'imposer n'est pas suffisant pour imposer, encore faut-il que la loi nationale ait utilisé ce droit ;
— en conséquence, avant d'étudier le texte de la convention, il convient avant tout de vérifier que l'imposition en cause est bien conforme au droit national [269]».
En ce qui concerne plus particulièrement les dividendes, la France a conclu diverses conventions fiscales visant à régir ces revenus. Il convient toutefois d’adopter certains réflexes[270].
Tout d’abord, il convient de regarder la définition du terme de dividendes qui a été retenu par la convention fiscale, celle-ci pouvant fortement varier.
Ainsi par exemple, l’article 10 de la convention modèle de l’OCDE prévoit que le terme de dividendes désigne « les revenus provenant d’actions ou part sociales, bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateurs ou autres parts bénéficiaires à l’exception des créances, ainsi que les revenus d’autres parts sociales soumis au même régime fiscal que les revenus d’actions par la législation de l’Etat dont la société distributrice est un résident [271]».
D’autres conventions, à l’image de celle conclue entre la France et la Belgique retiennent une définition plus large en énonçant que la notion de dividendes couvre du « côté français, tous les produits qui présentent le caractère de revenus mobiliers distribués selon les prévisions des articles 109 à 117 du CGI[272] ». Cette définition a également été retenue dans les conventions conclues avec l'Australie, la Bulgarie, le Canada et la province du Québec, la Chine, le Congo, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, Saint-Pierre-et-Miquelon, Trinité et Tobago, la Turquie, l'ex-URSS.
D’autres conventions retiennent une formulation encore plus large en définissant les dividendes comme étant des « revenus de valeurs mobilières et droits assimilés » sans d’avantage de précision. Tel est le cas du Bénin, du Burkina-Faso, de la République Centrafricaine, du Danemark, du Gabon, du Mali, de la Mauritanie, de Mayotte (convention Comores), du Niger, de la Polynésie française mais encore du Togo.
Il est important de préciser qu’en cas de conflit d’interprétation, il reviendra alors aux autorités étatiques compétentes de chacun des États concernés de le trancher. De plus, en l’absence de définition du terme de dividendes, les juridictions françaises lui attribueront le sens que lui accorde le droit interne. Cette grille d’interprétation avait été proposée par l’administration dans sa doctrine, dans laquelle elle indiquait que « la notion de dividende s’entendait de celle prévue par la législation fiscale interne[273] ». Ce raisonnement fut validé par le Conseil d’État à l’occasion de deux arrêts rendu en 1999[274] et en 2001[275].
Ensuite, comme le soutient le Professeur Ariane Périn-Dureau dans sa thèse, « l’objectif initial des conventions fiscales internationales demeure la suppression des doubles impositions internationales par un ajustement des compétences fiscales de chacun des Etats signataires. En revanche, ces conventions ne constituent pas des normes d’imposition en tant que telles, celles-ci ne pouvant être déterminées qu’au niveau interne[276] ».
C’est d’ailleurs la fonction des conventions fiscales internationales qui s’est retrouvée au cœur d’un arrêt du Conseil d’État du 28 juin 2002[277]. En effet, l’administration soutenait en matière de détermination du bénéfice imposable[278] que les conventions fiscales ont pour objectif d’éliminer la double imposition juridique, et seuls les contribuables subissant une telle double imposition sont donc recevables à invoquer les clauses conventionnelles. Ainsi, l’article 209 B du CGI ne créant pas de double imposition, ni juridique, ni même économique, par conséquent les conventions ne peuvent pas être invoquées.
Quant à lui, le Conseil d’État n’a pas entendu restreindre l’invocabilité des conventions au seul cas où le contribuable subirait une double imposition juridique. En effet, les sages écartent ce raisonnement en n’examinant pas l’objectif de la convention fiscale, se contentant d’opérer une lecture littérale des articles de la convention en cause[279].
Par conséquent, il convient simplement de déterminer quel État sera apte à imposer les dividendes et selon quelles modalités. Dans la plupart des cas, les conventions partagent le droit d’imposer les dividendes entre l’État de la source du revenu et l’État de résidence du bénéficiaire.
Pour ce qui est des dividendes perçus en France, le législateur a prévu en ce qui les concerne une imposition au prélèvement forfaitaire unique ou alors à l’impôt sur le revenu après un abattement de 40 %.
Pour ce qui est des dividendes distribués par une société française à l’étranger, ceux-ci feront l’objet d’une retenue à la source allant de 21 % à 75 % suivant les cas visés à l’article 187 du CGI.
Cette retenue à la source, qui est prévue à l’article 119 bis du CGI a vocation à s’appliquer dans deux cas : soit, quand une personne physique n'est pas domiciliée en France, soit quand une personne morale n’a pas son siège en France. En ce qui concerne les personnes morales, le Conseil d’État a jugé que l'établissement stable situé en France d'une société ayant son siège hors de France devait être assimilé à un siège en France.
Toutefois, la loi de finances pour 2018 n’a pas épargné les règles relatives aux retenues à la source. Désormais, l’article 187 du CGI prévoit que pour les revenus distribués à compter du 1er janvier 2018, le taux de la retenue à la source sera de 12,8 % pour les bénéficiaires personnes physiques et de 30 % pour les bénéficiaires personnes morales.
Il est important de noter, qu’à compter du 1er janvier 2020, pour les bénéficiaires personnes morales le taux de la retenu à la source sera égal au taux normal de l’impôt sur les sociétés, ce qui se traduira par un abaissement de taux de 30 % à 28 %.
Si le législateur prend le soin de déterminer le taux des retenues à la source, les conventions fiscales internationales prévoient dans la majorité des cas des taux bien inférieurs. Dans la majorité des cas, le taux oscille entre 10 % et 15 %, à l’image de la convention fiscale internationale conclue entre la France et le Brésil.
B°/ L’absence de taxation des dividendes au Brésil
Au Brésil comme en France, les bénéfices réalisés par les sociétés de capitaux sont imposés au titre de l’impôt sur les sociétés. Selon le pays, ce taux varie, en France, il est actuellement de 33.33 % (il convient de noter que ce taux va baisser progressivement afin de parvenir à un taux de 28 %[280]), tandis qu’au Brésil l’impôt sur les sociétés n’est que de 25 %.
Il convient néanmoins de relativiser ce faible taux apparent de 25 % dans la mesure où le taux d’imposition effectif est de 34 %.
En matière de dividendes, de 1990 à 1996, les bénéfices étaient imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu ou ils faisaient l’objet d’un prélèvement à la source.
À cette imposition il convenait d’ajouter l’impôt sur les sociétés qui avait déjà été liquidé par les sociétés lors de la réalisation du bénéfice.
Face à ce constat, vers les années 90 s’est développé un mouvement de réflexion aux États-Unis se penchant sur la question de savoir s’il fallait remettre en cause la double imposition qui affecté les dividendes.
Ce groupe de réflexion était composé de sept pays, à savoir, les États-Unis, l’Estonie, le Mexique, la Grèce, la Slovaquie, la Slovénie ainsi que le Brésil.
Au sein de ce groupe, les États-Unis n’ont jamais cessé de taxer doublement les dividendes. Quant à la Grèce, au Mexique et à la Slovaquie, ils n’ont eu d’autre possibilité que de revenir sur leur décision d’éviter une double imposition des dividendes suite aux crises auxquelles chacun des pays a été respectivement confronté. Par conséquent, seul le Brésil et la Slovénie maintiennent une non-imposition des dividendes[281], sous prétexte que taxer les dividendes aboutirait à une double imposition.
Le passage de la taxation des dividendes à leur exonération a définitivement été adopté sous le mandat de Fernando Henrique Cardoso, grâce à la loi numéro 9.249/1995 en date du 26 décembre 1995.
Cette loi dispose en son article 10 que « les bénéfices ou dividendes calculés sur la base des résultats apurés à partir de janvier 1996, payés ou crédités par des personnes morales sur la base du bénéfice réel, présumé ou constaté, ne seront pas soumis à l’impôt sur le revenu payé à la source, ni n’intégreront la base de calcul de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire, personne physique ou morale, domiciliée au Brésil ou à l’étranger[282] ».
Le gouvernement brésilien a souhaité exonérer les dividendes de toute taxation du fait de leur distribution et de leur perception par un contribuable personne physique.
Tout d’abord, le gouvernement souhaité lutter contre la rétention des fonds par les sociétés, ce qui aurait été préjudiciable à un objectif d’allocation efficient du capital[283].
Ensuite, le gouvernement a souhaité lutter contre les phénomènes de doubles impositions afin d’assurer la meilleure neutralité fiscale possible[284].
Afin d’y parvenir, le gouvernement a prévu dès 1996 que les dividendes versés à des associés ou actionnaires personnes physiques, bien qu’ils doivent faire l’objet d’une déclaration au titre de l’impôt sur le revenu, ceux-ci soient exonérés de toute imposition.
Ainsi, le Brésil est l’un de pays qui est le plus soucieux de préserver le principe de neutralité dans le cadre des distributions de dividendes.
Afin de parvenir à cet objectif, les bénéfices réalisés par les entreprises sont uniquement imposés à l’impôt sur les sociétés et ne font l’objet d’aucune imposition additionnelle, que ce soit au titre de leur distribution ou de leur encaissement par des personnes physiques. De telle sorte, que les dividendes subissent une seule et unique imposition.
Le régime fiscal brésilien serait une sorte de régime hybride, entre le régime des sociétés de capitaux et celui des sociétés de personnes que l’on connaît en droit français. Tout d’abord, le Brésil reconnaît la personnalité morale aux sociétés, ce qui permet à l’administration fiscale de prélever l’impôt sur les sociétés. Ensuite, dans un second temps, le bénéfice est présumé revenir à l’actionnaire ou à l’associé de la personne morale de manière automatique. De telle sorte que, la société ayant payé l’impôt sur les sociétés au titre des bénéfices réalisés, elle a par conséquent libéré le contribuable du paiement de tout autre impôt.
Toutefois, il est nécessaire de relativiser la préservation du principe de neutralité au Brésil pour diverses raisons.
La première raison qui peut être évoquée, est celle relative au fait que les bénéfices sont non-seulement soumis à l’impôt sur les sociétés, mais également aux prélèvements sociaux ce qui explique que d’un taux d’impôt sur les sociétés de 25 % les bénéfices soient in fine taxés à un taux de 34 %.
La deuxième raison qui peut être évoquée, est celle relative à une contestation récente, mais de plus en plus fréquente qui tend à remettre en cause l’exonération de taxation dont bénéficient les dividendes.
En effet, pendant le mandat de Dilma Rousseff tout comme lors du mandat de l’ancien président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva, les parlementaires situés à gauche sur l’échiquier politique ont déposé des projets de loi visant à remettre en cause ce système de non-imposition des dividendes, sans y parvenir.
Tout d’abord, cette remise en cause de la non-double imposition des dividendes et par extension du principe de neutralité se base notamment sur des études de la « Consultoria Legislative da Camara » de 2015. Cette étude démontre que si les dividendes perçus par des personnes physiques au Brésil étaient imposés à l’impôt sur le revenu, cela pourrait générer une recette estimée entre 30 à 65 milliards de real[285]. Ce montant, élevé de recettes, s’explique par le fait que rien qu’en 2015, 334 milliards de real ont été distribués.
D’autres critiquent la profonde attache du Brésil dans la lutte contre les doubles impositions en matière de dividendes en comparant leur régime fiscal à celui des autres pays membre de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques). En effet, la plupart des pays membre de cette organisation imposent les dividendes versés à des personnes physiques associées ou actionnaires. Telle est la position soutenue par Sergio Gobettie Rodrigo Orair.
D’ailleurs, afin de ne pas heurter cette attache à la nécessité de ne pas voir imposer les dividendes deux fois, certains auteurs proposent de relever le taux de l’IS de 34 % à 44 % afin de compenser le manque à gagner du fait de l’actuelle absence de taxation des dividendes. De ce fait, ceux militant contre la double imposition des dividendes ne pourront pas utiliser cet argument, mais reste à savoir si cela pourrait réellement altérer leur position[286].
Ensuite, cette remise en cause se base sur le fait que seuls les actionnaires ou associés bénéficient de ce privilège, soit au Brésil, les personnes faisant partie de la tranche la plus aisée de la population. La tranche la moins aisée de la population voyant ses revenus imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu au taux de 0 %, 15 % ou 27,5 %.
En effet, selon le sénateur Lindbergh Farias, il est inacceptable que cette exemption crée des distorsions entre les travailleurs qui sont soumis à l’impôt sur le revenu et les entrepreneurs qui ne sont pas imposés au titre des dividendes qu’ils perçoivent[287].
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Finalement, cela permettrait de lutter contre un phénomène de grande ampleur au Brésil, dénommé, « Pejotizaçao », qui consiste à ce que des personnes physiques soient transformées en sociétés, de telle sorte que les travailleurs soient embauchés comme membre actionnaire et qu’ils perçoivent des dividendes au lieu d’un salaire afin de ne pas être imposé au titre de l’impôt sur le revenu ni aux prélèvements sociaux[288].
Un impôt neutre ne devrait pas avoir d’impact sur le comportement des contribuables.